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On a commencé à remballer tranquillement pour ne pas bousculer les quelques retardataires.

— En parlant de petits copains, m’a glissé Sam en poursuivant son rangement, que devient Quinn ? Tu tires une tête d’enterrement depuis que tu es rentrée de Rhodes.

— Eh bien, je t’ai dit qu’il avait quand même été salement amoché par l’explosion...

Spécial Events, la filiale secrète de E (E) E que dirigeait Quinn, organisait des événements pour la communauté surnaturelle : alliances stratégiques entre vampires, rites de passage de lycanthropes, élections de chef de meute et autres manifestations du même genre. Voilà pourquoi Quinn se trouvait à La Pyramide de Gizeh quand la Confrérie du Soleil avait frappé.

Les membres de la Confrérie du Soleil vouaient une haine farouche aux vampires. Mais ils ignoraient totalement que ces derniers n’étaient que la partie émergée de l’iceberg. Aucun humain n’était au courant – à quelques rares exceptions près, dont moi. Cela dit, on était de plus en plus nombreux à être dans la confidence. Le grand secret commençait à s’éventer. J’étais sûre que les intégristes de la Confrérie haïraient tout autant les lycanthropes et les changelings, comme Sam, que les « démons suceurs de sang », s’ils venaient à découvrir leur existence. Ce qui finirait bien par arriver, et sans doute plus tôt qu’on ne le pensait.

— Oui, mais j’aurais cru que...

— Je sais, moi aussi j’aurais cru.

Et si je n’avais pas franchement l’air joviale en disant ça, eh bien, c’était que la mystérieuse disparition de mon tigre préféré ne me réjouissait pas plus que ça.

— Je m’attendais à recevoir des nouvelles, mais... rien.

— Tu as toujours la voiture de sa sœur ?

Frannie m’avait prêté son petit bolide pour que je puisse rentrer chez moi, après l’attentat.

— Non. Elle a disparu un soir où on bossait toutes les deux au bar, Amélia et moi. J’ai laissé un message sur le répondeur de Quinn pour l’avertir, mais je n’ai eu aucun écho depuis.

— Je suis désolé, Sookie.

La formule n’était pas vraiment de circonstance, mais qu’est-ce que vous voulez dire dans ces cas-là ?

— Pas autant que moi.

J’essayais de ne pas trop dramatiser non plus. Il fallait pourtant que je prenne sur moi pour ne pas rembobiner une énième fois le film, ressasser le même scénario, les mêmes arguments : Quinn ne m’en voulait pas d’avoir été blessé ; il ne me reprochait rien. Et sa sœur ne semblait plus me détester-je l’avais vue à l’hôpital de Rhodes, alors qu’elle jouait les gardes-malade auprès de son frère. Pas de reproche, plus de haine... alors pourquoi ne donnait-il pas de nouvelles ?

«À croire qu’il s’est volatilisé », ai-je songé avec un geste d’impuissance. Puis j’ai essayé de penser à autre chose. Quand je suis stressée, il faut que je m’occupe. J’ai donc aidé Sam à transporter le matériel et les restes du stock dans son camion. C’est lui qui s’est coltiné le plus lourd. Sam n’a vraiment rien d’un Monsieur Muscle, mais il est drôlement costaud – comme tous les changelings, d’ailleurs.

À 22 h 30, on avait presque fini. Les acclamations qui se sont soudain élevées de l’autre côté de la maison nous ont indiqué que les jeunes mariées avaient finalement redescendu l’escalier, lancé leur bouquet et filé avec leurs époux en voyage de noces. Portia et Glen partaient pour San Francisco, tandis que Halleigh et Andy s’envolaient pour la Jamaïque (c’était peut-être un secret pour les autres, mais pas pour moi).

Sam m’a alors annoncé que je pouvais y aller.

— Je demanderai à Dawson de m’aider à décharger au bar, m’a-t-il assuré.

Comme Dawson – qui remplaçait Sam Chez Merlotte, ce soir-là – était bâti comme une armoire à glace, je n’ai pas insisté.

Ensuite, on s’est partagé les pourboires – trois cents dollars pour moi : je n’avais pas perdu ma soirée. J’ai glissé la liasse de billets dans ma poche. Ça faisait un gros rouleau, vu que c’étaient surtout des petites coupures. J’étais bien contente d’habiter un bled paumé comme Bon Temps. Dans une grande ville, j’aurais eu la trouille de me retrouver avec un couteau dans le dos avant même d’avoir atteint ma voiture, avec une pareille somme sur moi.

— Bon, alors, salut, Sam, lui ai-je lancé en vérifiant que j’avais bien mes clés dans mon autre poche – je n’avais pas pris de sac.

En traversant le jardin pour regagner le trottoir, je me suis tapoté les cheveux. J’avais réussi à empêcher la PMB de me percher une choucroute au sommet du crâne, mais je n’avais pas échappé au crêpage ni à la laque. Elle m’avait fait des effets de mèches à la Farrah Fawcett dans Drôles de dames première version, et je me sentais franchement godiche.

Il y avait pas mal de monde sur la route : des véhicules du mariage, pour la plupart, mais aussi les habituelles sorties du samedi soir. La file de voitures garées le long de la route était impressionnante et ralentissait la circulation.

En me penchant pour ouvrir la portière, j’ai senti une présence derrière moi. J’ai glissé mes clés entre mes doigts, refermé le poing et pivoté d’un bloc. J’ai frappé de toutes mes forces. Avec les clés, ça faisait effet coup de poing américain, et le type a traversé le trottoir à reculons pour se retrouver le postérieur sur le gazon.

— Je ne vous veux aucun mal ! s’est alors écrié Jonathan.

Difficile d’avoir l’air digne et inoffensif, dans une telle posture, surtout quand vous avez du sang qui coule au coin de la bouche. Le vampire asiatique y est pourtant parvenu.

— J’ai été surprise, ai-je plaidé, ce qui était un doux euphémisme.

— Apparemment, a-t-il répondu en se redressant d’un seul mouvement.

Il a sorti un mouchoir immaculé pour se tamponner la lèvre.

Je n’avais pas l’intention de lui faire des excuses. Quand on s’approche de moi en douce dans le noir, il ne faut pas s’étonner de l’accueil qu’on reçoit. Puis j’ai réfléchi. Les vampires se déplacent toujours comme ça.

— Je suis navrée. J’ai craint le pire, ai-je concédé – une sorte de compromis, en somme. J’aurais dû prendre le temps de voir à qui j’avais affaire.

— Non, il aurait déjà été trop tard, à ce moment-là, a rétorqué Jonathan. Une femme seule doit savoir se défendre.

— Merci de votre compréhension, lui ai-je répondu, sans relâcher ma vigilance pour autant.

J’ai jeté un petit coup d’œil derrière lui, l’air de ne pas y toucher. Je passe mon temps à cacher mes réactions – en dépit des trucs insensés que je découvre, parfois, dans la tête des gens –, alors je suis habituée. Je l’ai regardé droit dans les yeux.

— Pourquoi...

J’ai d’abord hésité, puis je me suis jetée à l’eau.

— Qu’est-ce que vous faites là, dites-moi ?

— Je suis de passage en Louisiane, et j’ai été invité au mariage par Hamilton Tharp. J’ai l’autorisation d’Éric Nordman pour séjourner dans la cinquième zone, naturellement.

Hamilton Tharp ? Inconnu au bataillon. Une relation des Bellefleur, probablement. En revanche, je connaissais Éric Nordman. Et plutôt bien (à vrai dire, je le connaissais de la pointe des pieds à la racine des cheveux, en passant par tout ce qui se trouve entre les deux). Éric était le shérif de la cinquième zone, soit un sacré morceau de la Louisiane. On était... liés, lui et moi. Un lien plutôt compliqué, et dont je me serais volontiers passée, pour ne rien vous cacher.

— En fait, ce que je voulais savoir, c’est ce que vous faisiez derrière moi, tout à l’heure.

Je serrais toujours mes clés dans mon poing, en me disant : « S’il bouge, je vise les yeux. » Même un vampire craint ce genre d’attaque.

— Pure curiosité de ma part, a répondu Jonathan, les mains benoîtement croisées devant lui.

Je commençais sérieusement à le prendre en grippe, ce type.

— Mais encore ?

— J’ai entendu parler, au Croquemitaine, de la femme blonde à laquelle Éric accorde tant de prix. Éric est fin connaisseur, et si difficile... Il semblait fort improbable qu’une simple humaine ait pu retenir son attention.

— Et comment avez-vous su que je serais au mariage, ce soir ?

J’ai cru surprendre un frémissement de paupières, chez mon interlocuteur. Il ne s’était pas attendu à me voir insister. Il pensait avoir réussi à me rassurer. Peut-être même essayait-il de m’hypnotiser avec son regard de vampire pour me calmer. Manque de chance : ça ne marchait pas avec moi.

— La jeune femme qui travaille pour Éric, sa filleule Pam, y a fait allusion.

Oh ! ce n’est pas beau de mentir, monsieur le vampire ! Je n’avais pas eu de contact avec Pam depuis une quinzaine de jours et, la dernière fois que je l’avais eue au téléphone, je ne lui avais parlé ni de mon emploi du temps ni de mes activités mondaines. Elle se remettait à peine des blessures qu’elle avait subies à Rhodes, et son rétablissement, ainsi que celui d’Éric et de la reine, avait été notre unique sujet de conversation.

— Ah, oui, évidemment ! Bon, eh bien, bonsoir. On m’attend, ai-je prétexté en ouvrant ma portière.

Sans quitter des yeux mon interlocuteur, je me suis prudemment faufilée à la place du conducteur, prête à réagir au moindre mouvement suspect. Il est resté figé comme une statue, se contentant d’incliner légèrement la tête pour me saluer au moment où je démarrais. J’ai attendu un stop pour mettre ma ceinture – je n’avais pas voulu me ficeler, avec un danger potentiel à proximité –, puis j’ai verrouillé les portières et jeté un coup d’œil circulaire. Pas de vampire à l’horizon. Bizarre, cette histoire, tout de même. Vraiment bizarre. Peut-être valait-il mieux que j’appelle Éric pour tout lui raconter...

Et vous savez ce qui était encore plus bizarre ? L’homme au visage fané et aux longs cheveux d’ange était resté caché dans l’ombre, juste derrière Jonathan, sans bouger, du début à la fin de notre étrange entretien. À un moment, son regard avait même croisé le mien. Ses traits parfaits étaient demeurés impassibles. J’avais pourtant compris qu’il ne voulait pas que je trahisse sa présence. Non que je l’aie lu dans ses pensées – j’en étais incapable –, mais je l’avais deviné.

Et, comble de bizarrerie, Jonathan ne l’avait pas senti. Étant donné l’odorat ultrasensible dont sont dotés tous les vampires, ce n’était plus bizarre, c’était carrément hallucinant.

J’y pensais encore, en prenant Hummingbird Road pour tourner dans la petite route de campagne qui conduit, à travers bois, à ma vieille baraque. Le cœur de la maison a plus de cent soixante ans, mais il ne reste pas grand-chose du bâtiment initial. On l’a modifié, remanié, agrandi, et la toiture a été refaite une bonne vingtaine de fois. La fermette d’origine, avec ses deux pièces à tout faire, s’est étendue, au fil du temps. Mais ça n’en demeure pas moins une maison tout ce qu’il y a d’ordinaire.

Elle semblait bien calme, dans le halo des spots extérieurs que ma colocataire avait laissés allumés pour moi, ce soir-là. Je me suis garée dans l’arrière-cour, à côté de la voiture d’Amélia. J’ai gardé mes clés à la main, au cas où elle serait montée se coucher. Elle avait laissé la porte de la véranda ouverte – j’ai mis le loquet – et verrouillé la porte de la cuisine, que j’ai refermée à clé derrière moi. On faisait super gaffe, question sécurité, Amélia et moi, surtout la nuit.

J’ai été un peu surprise de la trouver assise dans la cuisine. Elle m’attendait. On avait pris nos habitudes, après des semaines de cohabitation, et à cette heure-là, Amélia aurait déjà dû être montée. Elle avait ses appartements à l’étage, avec sa propre télé, son téléphone et son ordinateur portable, Internet, et, comme elle s’était inscrite à la bibliothèque, toujours de quoi lire. Sans parler de ses études de magie, sur lesquelles je ne l’interrogeais jamais. Jamais. Amélia est une sorcière.

— Alors ? Comment ça s’est passé ? m’a-t-elle aussitôt demandé, en remuant sa tisane comme si elle voulait provoquer un tsunami.

— Eh bien, ils se sont mariés. Personne n’a tiré un premier époux ni un amant mystère de son chapeau. Les vampires que Glen avait invités – ses clients – ont été bien sages, et la vieille Caroline a distribué des sourires à la pelle. Mais j’ai été obligée de remplacer une demoiselle d’honneur au pied levé.

— Non ! Raconte !

Je ne me suis pas fait prier, et on s’est pris quelques bons fous rires dans la foulée. J’ai bien pensé à lui parler du charmant monsieur aux cheveux d’ange, mais je me suis ravisée. Qu’est-ce que j’aurais pu lui dire, de toute façon ? « Il m’a regardée » ? En revanche, je lui ai parlé du vampire du Nevada.

— Qu’est-ce qu’il voulait, à ton avis ?

J’ai haussé les épaules.

— Aucune idée.

— Il faut que tu le découvres. D’autant que tu ne connais même pas le type qui, soi-disant, l’a invité.

— Je vais appeler Éric... Sinon ce soir, demain soir.

— Dommage que tu n’aies pas une copie de cette base de données que Bill vend comme des petits pains. J’ai encore vu la pub hier, en consultant un site pour vampires sur le Net.

La base de données en question contenait les photos et/ou les biographies de tous les vampires que Bill avait réussi à localiser à travers le monde. Le logiciel de Bill rapportait plus de fric à sa patronne, la reine de Louisiane, que je n’aurais jamais pu l’imaginer. Mais il fallait être un vampire pour en acheter un exemplaire, et ils vérifiaient.

— Oui, mais Bill la vend cinq cents dollars pièce et c’est drôlement risqué d’essayer de se faire passer pour un vampire...

Amélia a balayé l’argument d’un revers de main.

— Si le jeu en vaut la chandelle...

Amélia est beaucoup plus évoluée que moi – enfin, par certains côtés. Elle a grandi à La Nouvelle-Orléans et y a vécu pratiquement toute sa vie. Evidemment, depuis quelque temps, elle vivait chez moi. Mais c’était seulement parce qu’elle avait fait une grosse bêtise. Elle avait été obligée de quitter La Nouvelle-Orléans après avoir provoqué une catastrophe majeure en jouant, non pas les apprenties sorcières – ce qu’elle était –, mais carrément les sorcières confirmées. Cela dit, elle avait été bien inspirée de partir quand elle l’avait fait, parce que Katrina l’avait suivie de peu. Depuis le passage de l’ouragan, le locataire d’Amélia – qui occupait le premier étage, dans la maison qu’elle possédait – ne payait plus de loyer parce qu’elle l’avait chargé de surveiller les travaux de réfection. Son propre appartement, au rez-de-chaussée, avait subi de sérieux dégâts.

Et voici qu’arrivait, justement, la raison pour laquelle Amélia n’était pas près de retourner à La Nouvelle-Orléans : Bob. Il a traversé la cuisine à pas feutrés pour venir se frotter langoureusement contre mes jambes.

— Hé ! mon joli petit minou d’amour ! me suis-je écriée, en me penchant pour attraper le gros chat noir et blanc. Et comment il va, mon trésor, aujourd’hui ? ai-je roucoulé, le nez enfoui dans sa fourrure.

— Arrête, je vais vomir, a grommelé Amélia d’un air dégoûté.

Mais je savais qu’elle avait un comportement tout aussi régressif avec Bob quand j’avais le dos tourné.

— Du nouveau ? lui ai-je demandé en me redressant.

Bob avait manifestement eu droit à un bain l’après-midi même. On aurait dit un persan : il avait triplé de volume.

— Non, m’a-t-elle répondu d’un ton morne, exprimant le plus profond découragement. J’ai travaillé pendant une heure sur lui, aujourd’hui, et tout ça pour quoi ? Pour qu’il se retrouve avec une queue de lézard ! Ça m’a pris le restant de la journée et tous les pouvoirs que je possède pour inverser le processus.

En réalité, Bob était un homme. Un petit brun avec une tête de premier de la classe : le type de base, quoi – sauf que, d’après Amélia, il était doté d’attributs tout à fait hors norme, le genre d’attributs qu’on ne voyait pas quand il était habillé... Bref. Amélia n’était déjà pas censée pratiquer les sorts de transmutation, et encore moins en pareilles circonstances : lorsqu’elle avait changé Bob en chat, ils étaient plongés dans des expérimentations d’un tout autre genre. Des expérimentations d’ordre sexuel – qui devaient être très expérimentales, en effet. Je n’avais jamais eu le cran de lui demander ce qu’elle essayait de faire exactement. Ça devait être plutôt exotique, comme pratique.

— Le truc, c’est que...

Ah ! On y arrivait ! Je n’allais pas tarder à découvrir la véritable raison pour laquelle Amélia m’avait attendue. Ma colocataire était une puissante émettrice, et elle n’avait pas ouvert la bouche que j’avais déjà la réponse, direct à la source. Mais je l’ai laissée continuer. Les gens détestent ça, quand on leur dit qu’ils n’ont pas besoin de parler. Surtout lorsqu’il s’agit d’un sujet qu’ils ont du mal à aborder.

— ... mon père sera à Shreveport demain et il veut venir à Bon Temps pour me voir, a-t-elle lâché d’une seule traite. Il y aura juste lui et son chauffeur, Marley. Il veut venir dîner.

Le lendemain étant un dimanche, le bar ne serait ouvert que l’après-midi. De toute façon, je n’étais pas de service – comme j’ai pu le constater en jetant un coup d’œil à mon calendrier.

— Bon. Eh bien, j’irai faire un tour. Je pourrais aller rendre une petite visite à Nikkie et JB. Pas de problème, je me débrouillerai.

— Oh ! Non, non ! Reste, je t’en prie.

Son regard à lui seul était une véritable supplique. Elle ne m’en a pas dit plus, mais il suffisait de lire dans ses pensées. Amélia entretenait une relation conflictuelle avec son père, à tel point qu’elle préférait porter le nom de sa mère, Broadway – même si ce choix était aussi motivé par la notoriété de son père. Copley Carmichael avait le bras long, politiquement parlant, et il roulait sur l’or. Cela dit, je ne savais pas dans quelle mesure Katrina l’avait affecté. Carmichael faisait dans le bois de construction et était également entrepreneur dans le bâtiment. Katrina pouvait très bien avoir détruit ses chantiers et balayé ses scieries. Par ailleurs, toute la région était à reconstruire...

— À quelle heure il compte venir ?

— 17 heures.

— Est-ce que le chauffeur mange à sa table ?

Je n’avais jamais été confrontée à ce genre de problème. On n’avait qu’une table, à la maison, celle de la cuisine. Je n’allais tout de même pas faire manger ce type dans l’arrière-cour, assis sur les marches !

— Ô mon Dieu ! Qu’est-ce qu’on va faire de Marley ?

Elle ne s’était même pas posé la question, apparemment.

— C’est précisément ce que je te demande.

Il n’est pas impossible qu’une certaine lassitude ait été perceptible dans mon ton, à ce moment-là.

— Écoute, a protesté Amélia, tu ne connais pas mon père. Tu ne sais pas comment il est.

Ce que je savais, en revanche, c’était que les sentiments d’Amélia pour son père étaient un vrai sac de nœuds. Pas facile de faire le tri entre l’amour, la peur et l’anxiété pour découvrir ce qu’elle éprouvait exactement. Quant à moi, je connaissais peu de gens riches et j’en fréquentais encore moins – et je ne parle même pas de gens assez riches pour se payer un chauffeur à plein temps !

Cette visite promettait d’être intéressante...

J’ai souhaité une bonne nuit à ma coloc et je suis allée me coucher. J’avais beau avoir largement de quoi cogiter, la fatigue physique l’a emporté et je me suis endormie à peine la tête posée sur l’oreiller.

 

Ce dimanche s’annonçait splendide. J’ai pensé aux jeunes mariés, lancés dans leur nouvelle vie ; à Miss Caroline qui hébergeait chez elle un couple de cousins (des petits jeunes dans la soixantaine) chargés tant de jouer les chiens de garde que de lui tenir compagnie. Quand Portia et Glen reviendraient, les cousins retourneraient dans leur humble demeure – non sans quelque soulagement, on s’en doute. Quant à Halleigh et Andy, ils iraient s’installer dans leur petite maison bien à eux.

Je me suis un peu interrogée sur Jonathan et sur le charmant monsieur aux cheveux d’ange.

Je me suis promis d’appeler Éric le soir même, quand il serait levé.

Je me suis rappelé ce que Bill m’avait dit au mariage – de quoi rester songeuse...

Et, pour la millionième fois, j’ai tenté de trouver une explication au silence de Quinn.

Mais avant d’avoir eu le temps de sombrer dans le cafard le plus noir, j’étais déjà emportée par l’ouragan Amélia.

Il y a plein de choses que j’ai appris à apprécier et même à aimer, chez Amélia. Elle est directe, dynamique et bourrée de talent ; elle connaît tout du monde parallèle des Cess et des vampires et sait la part que j’y prends ; elle trouve que mon étrange don est «carrément cool ». Je peux lui parler de n’importe quoi, jamais elle n’aura de réaction de dégoût ni d’horreur. Évidemment, elle a les défauts de ses qualités : elle est impulsive, parfois un peu trop franche, et c’est une vraie tête de mule. Mais il faut prendre les gens comme ils sont. Sans rire, c’est un vrai bonheur de vivre avec elle.

Du point de vue domestique, Amélia est bonne cuisinière ; elle respecte scrupuleusement mes affaires et veille à ne pas les mélanger avec les siennes, et, surtout, elle est ordonnée. S’il y a un truc pour lequel elle est douée, c’est bien l’entretien de la maison. Elle brique quand elle s’ennuie, elle brique quand elle est stressée, elle brique quand elle se sent coupable... Si je ne suis pas la dernière pour le ménage, Amélia en est la reine incontestée. Le jour où elle a failli avoir un accident de voiture, elle a nettoyé tous les meubles du séjour, capitonnage compris. Lorsque son locataire a appelé pour lui annoncer qu’il faudrait refaire entièrement la toiture, elle est allée chez EZ Rent louer une cireuse-lustreuse de compétition et elle a remis à neuf tous les parquets du premier et du rez-de-chaussée.

Quand je me suis levée, à 9 heures, Amélia était déjà en pleine crise de ménage en prévision de la visite imminente de son père. À 10 h 30, alors que je m’apprêtais à aller à l’office, je l’ai trouvée à quatre pattes en train de récurer la salle de bains d’en bas – qui n’est plus de la première jeunesse, avec ses minuscules carreaux octogonaux noirs et blancs et son énorme baignoire antique à pattes de lion, mais est tout de même dotée de toilettes un peu plus modernes, grâce à mon frère Jason. C’était la sienne, puisqu’il n’y en a pas en haut et que j’ai une petite salle de bains privative qu’on a ajoutée à ma chambre dans les années cinquante. Ce qui est bien, chez moi, c’est qu’on peut admirer un condensé des principales évolutions en matière de confort intérieur sur près d’une centaine d’années sans même avoir besoin de bouger.

— Tu crois franchement que c’est si sale que ça ?

Debout sur le seuil, je parlais au postérieur de ma coloc. Elle a relevé la tête et passé un gant en caoutchouc rose vif sur son front pour repousser une courte mèche rebelle.

— Non, ce n’est pas vraiment sale, mais je veux que tout resplendisse du sol au plafond.

— Tu sais, c’est une vieille baraque, Amélia, et je ne pense pas qu’elle puisse réellement « resplendir du sol au plafond ».

Je n’avais pas à m’excuser parce que la maison et les meubles dataient de Mathusalem. J’avais fait du mieux que je pouvais avec ce que j’avais. Et puis, ça me plaisait bien comme ça, à moi.

— C’est une super vieille baraque, Sookie ! s’est écriée Amélia. Mais il faut que je m’occupe.

— D’accord. Bon, eh bien, je vais à l’office. Je serai de retour vers midi et demi.

— Tu pourrais passer faire des courses en revenant ? La liste est sur la table de la cuisine.

J’ai accepté, heureuse d’avoir quelque chose à faire qui me tiendrait éloignée de la maison un peu plus longtemps.

On se serait plutôt cru en mars qu’en octobre (mars dans le Sud, s’entend). En descendant de voiture devant le temple baptiste, j’ai levé la tête pour sentir la caresse de la brise sur mon visage. Il y avait comme un petit parfum d’hiver dans l’air quand même, un léger avant-goût. À l’intérieur, les fenêtres du petit temple étaient ouvertes et, quand on chantait, nos voix s’envolaient au-dessus de la pelouse et des arbres encore verts. Mais j’ai vu des feuilles emportées par le vent pendant que le pasteur prêchait.

Il faut bien avouer que je ne suis pas toujours très attentive pendant ses sermons. Il arrive que l’office soit surtout pour moi une heure de méditation, un temps pour me demander comment va ma vie. Du moins ces pensées ne sont-elles pas hors contexte. Cela dit, quand vous regardez les feuilles tomber, il devient plutôt restreint, le contexte.

Mais, ce matin-là, j’écoutais. Le pasteur Collins disait de rendre à Dieu ce qui appartenait à Dieu et à César ce qui appartenait à César. Ça ressemblait furieusement à un rappel du fisc, à mes yeux, et je me suis demandé si le pasteur Collins payait ses impôts par tiers. Et puis, au bout d’un moment, j’ai fini par comprendre qu’il parlait de ces lois que l’on enfreint à longueur de journée sans pour autant se sentir coupable – comme ne pas respecter les limitations de vitesse, ou glisser un petit cadeau dans une enveloppe et la faire passer pour une lettre au lieu d’un colis, histoire d’échapper aux frais d’affranchissement supplémentaires.

J’ai souri au pasteur Collins en sortant du temple – il a toujours l’air un peu... troublé quand il me voit – et salué Maxine Fortenberry et son mari en regagnant le parking.

Maxine est ce qu’on appelle une forte femme et elle ne passe pas inaperçue, alors qu’Ed est si timide et si discret qu’il en devient presque transparent. Leur fils, Hoyt, est le meilleur ami de mon frère. Hoyt se tenait derrière sa mère. Il portait un beau costume et s’était fait couper les cheveux. Tiens, tiens ! Intéressant.

— Viens donc m’embrasser, ma jolie ! m’a lancé Maxine – ce que, bien sûr, je me suis empressée de faire.

Bien que plutôt de l’âge de mon père, Maxine avait été une amie de ma grand-mère. J’ai souri à Ed et fait un petit signe de la main à Hoyt.

Je l’ai complimenté :

— Tu es bien beau, dis donc !

Il a souri comme jamais je ne l’avais vu sourire. J’ai jeté un coup d’œil en coin à Maxine. Elle rayonnait.

— Hoyt fréquente Holly, la fille qui travaille avec toi, m’a-t-elle annoncé. Elle a un gamin, et c’est une chose qu’il ne faut pas oublier, mais Hoyt a toujours adoré les gosses.

— Je ne savais pas, me suis-je étonnée. Mais c’est super, Hoyt. Holly est vraiment une chic fille.

J’avais sans doute parlé un peu trop vite. Je n’aurais probablement pas dit ça, sinon. Mais, après tout, ce n’était peut-être pas plus mal que je n’aie pas eu le temps de réfléchir à la question... Oh, Holly avait des qualités : elle était toute dévouée à son fils, elle était fidèle en amitié et compétente dans son boulot. Ça faisait déjà plusieurs années qu’elle était divorcée, Hoyt n’était donc pas un lot de consolation. Mais avait-t-elle avoué à Hoyt qu’elle était une Wiccan ? Certainement pas, à voir le sourire radieux de Maxine.

— On a rendez-vous avec elle pour déjeuner au Sizzler, a-t-elle fièrement déclaré, en parlant du grill qui se trouvait le long de l’autoroute. Holly n’est pas très pratiquante, mais on y travaille. Il faudra qu’elle vienne un jour avec nous à l’office et qu’elle amène Cody. Mais on ferait mieux d’y aller si on ne veut pas être en retard.

— Continue comme ça, Hoyt ! ai-je dit à l’intéressé, en lui tapotant le bras comme il passait près de moi.

Il avait l’air tout content quand il m’a regardée.

Tout le monde se mariait ou tombait amoureux. J’étais heureuse pour eux. Super super super heureuse. J’ai accroché un sourire à mes lèvres et je suis allée à la supérette. J’ai sorti la liste d’Amélia de ma poche. Elle était déjà assez longue, mais j’étais sûre qu’elle s’était encore allongée depuis mon départ. J’ai appelé ma coloc avec mon portable. Qu’est-ce que je vous disais ? Elle avait trois articles à ajouter. J’ai donc passé un petit moment dans le magasin.

J’avais des sacs de courses plein les bras quand j’ai gravi l’escalier de la véranda. Amélia s’est ruée sur la voiture pour aller chercher ceux qui restaient.

— Mais t’étais où ?

À croire qu’elle avait passé son temps à m’attendre devant la porte en tapant du pied.

J’ai regardé ma montre.

— Je suis allée directement à la supérette en sortant du temple. Il n’est que 13 heures !

Lestée comme un chameau, ma coloc est repassée devant moi, en secouant la tête et en faisant un truc du genre « Grrrrrrrrr ! ».

Et ça a été comme ça tout l’après-midi. On aurait dit qu’Amélia avait rendez-vous avec l’homme de sa vie.

Je ne suis pas un grand chef, mais je me défends aux fourneaux. Pourtant, Amélia n’a pas voulu que je fasse quoi que ce soit pour le dîner, en dehors des tâches les plus basiques. J’ai été chargée d’émincer les oignons et les tomates. Ah, si ! Elle m’a laissée laver les ustensiles de cuisine. Je m’étais toujours demandé si elle pouvait faire la vaisselle en claquant des doigts, comme les fées dans La Belle au bois dormant. Mais quand je lui ai posé la question, elle a juste émis un reniflement dédaigneux.

La maison était d’une propreté immaculée. J’ai même remarqué – et pris sur moi pour ne pas lui en faire la réflexion – qu’Amélia avait passé un petit coup d’aspirateur dans ma chambre. En général, on n’empiétait pas sur nos territoires respectifs.

— Désolée d’être allée dans ta chambre...

J’ai sursauté : je ne l’avais pas entendue arriver (bravo, la télépathe !).

— Tu sais comme je suis impulsive. Je passais l’aspirateur, et je me suis dit que je ferais bien ta moquette. Et hop ! sitôt dit, sitôt fait. Je n’ai pas réfléchi deux secondes. Ah ! J’ai mis tes mules sous le lit.

— OK.

— Hé, j’ai dit que j’étais désolée.

J’avais essayé de prendre un ton neutre, pourtant.

J’ai hoché la tête et continué à essuyer les ustensiles de cuisine pour les ranger dans le tiroir. Le menu concocté par Amélia comprenait une salade composée avec laitue, tomates et carottes râpées, des lasagnes, du pain à l’ail croustillant et des légumes vapeur. Je n’y connais pas grand-chose en légumes vapeur, mais j’avais préparé les ingrédients de base : courgettes, poivrons, champignons, chou-fleur. L’après-midi avançant, j’ai été jugée apte à mélanger la salade et priée de mettre la nappe, de placer le petit bouquet de fleurs fraîches sur la table et de dresser le couvert. Pour quatre.

J’avais proposé à ma coloc de convier M. Marley à prendre un plateau télé avec moi dans le salon, mais, à voir sa réaction horrifiée, on aurait pu penser que je lui avais offert de lui laver les pieds.

— Non, tu restes avec moi !

— Mais il va bien falloir que tu discutes avec ton père. À un moment ou à un autre, je vais être obligée de vous laisser.

Elle avait respiré un bon coup et lâché dans un souffle :

— D’accord, je suis une grande fille, maintenant.

— Poule mouillée !

— Attends un peu de l’avoir rencontré...

À 16 h 15, Amélia a filé se préparer. J’étais assise dans le salon, à lire un livre emprunté à la bibliothèque, quand j’ai entendu un crissement de pneus sur le gravier. J’ai jeté un coup d’œil à la pendule : 16 h 48. J’ai appelé Amélia du bas de l’escalier et je suis allée à la fenêtre. L’après-midi s’achevait, mais, comme on n’était pas encore passé à l’heure d’hiver, on distinguait parfaitement les lignes élégantes de la limousine garée devant la maison. Un homme brun aux cheveux très courts et en costume trois pièces est sorti côté conducteur : Marley, selon toute vraisemblance. Il ne portait pas de casquette, comme dans les films. Quelle déception ! Il a ouvert la portière arrière, et Copley Carmichael a posé son auguste pied dans mon humble cour.

Le père d’Amélia n’était pas très grand et n’avait pas que les tempes d’argentées, mais ses courts cheveux gris étaient si épais, si drus, si brillants et si bien coupés qu’ils faisaient penser à un très beau tapis de prix. Il était très bronzé aussi, et ses sourcils étaient encore d’un noir de jais. Pas de lunettes. Pas de lèvres. Enfin, évidemment, il avait une bouche, comme tout le monde, mais si mince qu’on aurait dit une crevasse.

M. Carmichael a regardé autour de lui, tel un huissier évaluant un bien avant liquidation. Pendant qu’il poursuivait son examen, j’ai entendu derrière moi les talons d’Amélia dans l’escalier. Marley avait, quant à lui, les yeux braqués sur la maison : il m’avait aperçue à la fenêtre.

— Marley est un petit nouveau, si l’on peut dire, m’a dit ma coloc. Il n’est au service de mon père que depuis deux ans.

— Ton père a toujours eu un chauffeur ?

— Ben oui. Et Marley fait aussi office de garde du corps, a-t-elle ajouté, comme si tout le monde avait un père qui se baladait avec un gorille.

Ils empruntaient à présent ma belle allée gravillonnée, sans un regard pour la superbe rangée de chênes verts qui la bordait.

Montée des marches. Traversée de la véranda...

Toc toc toc !

J’ai songé à toutes les créatures dangereuses qui avaient franchi le seuil de cette maison : des loups-garous, des changelings, des vampires et même un ou deux démons. Alors pourquoi me prendre la tête pour ce type ? me suis-je raisonnée. Je me suis redressée et je suis allée ouvrir, doublant de justesse ma coloc. Hé ! J’étais chez moi, ici, non ?

J’ai posé la main sur la poignée, affiché mon plus beau sourire et j’ai ouvert.

— Entrez, je vous en prie.

Marley a tenu la porte-moustiquaire à son patron, qui s’est avancé et a embrassé sa fille. Mais pas avant d’avoir balayé le salon de son infaillible regard d’huissier.

C’était aussi un puissant émetteur – ça devait être de famille. Il se disait que tout cela était bien miteux pour une Carmichael... Jolie fille, la colocataire... Je me demande quel genre de relation Amélia entretient exactement avec elle. Est-ce qu’elles couchent ensemble ? La demoiselle n’a pas l’air bien farouche et n’a rien d’un parangon de vertu... Certes, pas de casier judiciaire, mais elle a fréquenté un vampire et son frère est une tête brûlée...

Évidemment, un type de la trempe de Copley Carmichael ne pouvait qu’avoir commandité une enquête sur la nouvelle colocataire de sa fille. Ça ne m’avait tout simplement pas effleuré l’esprit – comme tout un tas d’autres trucs que font les gens riches.

J’ai pris une profonde inspiration.

— Bonjour, je suis Sookie Stackhouse. Vous devez être monsieur Carmichael, ai-je ajouté en lui serrant la main. Et vous êtes monsieur...

Je tendais la main à Marley. Il y a eu comme un flottement. Pendant une seconde, j’ai même cru que j’étais parvenue à déstabiliser le grand Copley Carmichael. Mais, déjà, il s’était repris.

— Tyrese Marley, a-t-il répondu sans ciller.

L’intéressé m’a à peine touché la main. À croire qu’il avait peur de me la broyer. Puis il s’est incliné en direction de ma coloc.

— Mademoiselle Amélia.

J’ai alors vu des étincelles dans les yeux d’Amélia, comme si elle était sur le point de lui dire de ne pas lui donner du «mademoiselle », merci. Mais elle s’est ravisée. Tous ces revirements dans son esprit, ces incessants va-et-vient... ça me donnait le tournis.

Tyrese Marley n’était certes pas cent pour cent blanc, mais il était loin d’être noir. Sa peau avait plutôt la couleur d’un vieil ivoire patiné et il avait les yeux noisette. Et, s’il était bel et bien noir de cheveux, ces derniers ne frisaient pas. Ils avaient même un léger reflet auburn. Marley était le genre d’homme qu’on regarde à deux fois.

— Pendant que vous serez avec Mlle Amélia, je vais aller en ville chercher de l’essence, a-t-il annoncé à son boss. Quand vous voulez que je revienne ?

M. Carmichael a consulté sa montre.

— Dans deux heures environ.

J’ai pris le ton le plus neutre possible, histoire de ménager les susceptibilités :

— Vous pouvez rester dîner.

— J’ai quelques courses à faire, a prétexté Tyrese d’une voix égale. Merci pour l’invitation. À tout à l’heure.

Et il est parti.

Bon. Au temps pour ma tentative de démocratisation à échelle domestique !

Tyrese ne pouvait cependant pas savoir à quel point j’aurais préféré aller en ville avec lui. Faute de quoi, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai entamé les civilités d’usage.

— Est-ce que je peux vous servir un verre de vin, monsieur Carmichael ? Ou autre chose ? Et toi, Amélia ?

— Appelez-moi Cope, m’a répondu « Cope », en se fendant d’un sourire qui m’a un peu trop rappelé Les Dents de la mer pour me rassurer. Et oui, bien sûr, un verre de ce qu’il y a d’entamé, ce sera parfait. Et toi, ma chérie ?

— Du blanc, alors.

Je l’ai entendue inviter son père à s’asseoir, pendant que je regagnais la cuisine.

J’ai rempli les verres et je les ai posés sur un petit plateau avec des crackers, du fromage à tartiner (du brie chaud) et une sauce à base de confiture d’abricots pimentée. On avait d’adorables petits couteaux qui allaient super bien avec le plateau et Amélia avait trouvé des serviettes cocktail assorties.

Cope avait un bel appétit et il a fait honneur au brie. Il a goûté le vin – un cru de l’Arkansas – et a poliment hoché la tête. Il ne l’a pas recraché, c’était déjà ça. Je bois rarement et je n’y connais rien en vin, mais j’ai gentiment siroté le contenu de mon verre, une gorgée par-ci, une gorgée par-là. Ça se laissait boire.

— Dis-moi donc ce que tu fais de ton temps en attendant la fin des travaux chez toi, Amélia, a alors demandé Cope, ce qui m’a semblé une honnête façon d’entamer la conversation.

J’ai failli lui déclarer que, pour commencer, sa fille chérie ne me sautait pas dans tous les coins, mais je me suis dit que c’était peut-être un peu trop direct. Je me donnais beaucoup de mal pour ne pas lire dans ses pensées parce que, je vous jure, les avoir, lui et Amélia, en même temps dans la même pièce, c’était comme regarder deux émissions de télé simultanément. Et en stéréo !

— J’ai fait un peu de classement pour l’un des agents d’assurance locaux et je travaille à temps partiel Chez Merlotte, a docilement répondu Amélia. Je sers les consommations et le traditionnel poulet-frites.

— Et le travail au bar est-il intéressant ?

Il aurait pu la jouer sarcastique, sur ce coup-là. Mais il s’est abstenu, il faut lui accorder ça. À n’en pas douter, il avait aussi fait sa petite enquête sur Sam.

— Assez, lui a-t-elle répondu avec un petit sourire.

Oh ! Bel effort pour Amélia. Autant de concision exigeait un petit tour dans ses pensées pour voir de quoi il retournait. Fermement décidée à respecter les conventions, ma coloc se bridait à mort.

— Je me fais d’honnêtes pourboires.

Son père a hoché la tête.

— Et vous, mademoiselle Stackhouse ?

Il savait tout de moi, sauf peut-être la couleur du vernis que je me mettais sur les ongles de pieds. Et encore, j’étais sûre qu’il l’aurait fait figurer dans mon dossier, s’il l’avait pu.

— Je suis Chez Merlotte à plein temps, lui ai-je gentiment répondu – comme s’il ne le savait pas ! Ça fait des années que j’y travaille.

— Votre famille est de la région ?

— Oh, oui ! On a toujours été là. Enfin, aussi longtemps qu’un Américain peut dire ça. Mais la famille s’est peu à peu ratatinée comme une peau de chagrin. Il ne reste plus que mon frère et moi, maintenant.

— Votre frère aîné ? Cadet ?

— Aîné. Et tout récemment marié.

— Alors, il y aura peut-être d’autres petits Stackhouse.

À l’entendre, on aurait pu croire que c’était une bonne chose. Pour lui, je veux dire.

J’ai opiné, comme si cette éventualité me ravissait aussi. Je n’aimais pas beaucoup ma belle-sœur, et il y avait de grandes chances pour que tous les « petits Stackhouse » qu’elle et mon frère pourraient avoir tournent mal. En fait, le premier était déjà en route – si Crystal ne faisait pas encore une fausse couche. Mon frère était une panthère-garou (pas de souche : il avait été mordu) et sa femme était une vraie panthère – enfin, une panthère-garou de naissance. Grandir dans la petite communauté de Hotshot n’était déjà pas une sinécure, alors pour des gosses qui seraient des «parvenus, pas des pur-sang », comme disaient les locaux, ce serait sans doute encore plus dur.

— Est-ce que je peux te servir encore un peu de vin, papa ?

Amélia a sauté de son fauteuil comme un ressort et a filé dans la cuisine avec le verre de son père à moitié plein. Génial ! un petit entretien en tête à tête avec Cope !

— C’est très aimable à vous d’héberger ma fille, Sookie, m’a remerciée Cope.

Je me suis empressée de mettre les choses au point.

— Amélia me verse un loyer et fait la moitié des courses : elle paie sa part.

— Quoi qu’il en soit, j’aimerais que vous me laissiez vous dédommager pour les désagréments occasionnés.

— Le loyer qu’Amélia me donne y suffit. Et puis, après tout, elle contribue à la modernisation de la maison, avec toutes les améliorations qu’elle a financées.

J’ai vu le visage de mon interlocuteur se durcir et son regard s’affûter comme celui d’un limier qui vient de lever un gros gibier. Qu’est-ce qu’il croyait ? Que j’avais embobiné sa fille pour me faire creuser une piscine dans l’arrière-cour ?

— Elle a fait installer l’air conditionné dans sa chambre, au premier, ai-je précisé. Et elle a fait poser une deuxième ligne téléphonique pour le Net. Et je crois qu’elle s’est acheté un dessus-de-lit et des rideaux aussi.

— Elle vit à l’étage ?

— Eh bien... euh... oui.

J’étais surprise qu’il ne le sache pas déjà. Certaines choses auraient-elles échappé à sa CIA privée ?

— Je vis ici, en bas, et elle là-haut. Et nous partageons la cuisine et le salon, bien qu’il me semble qu’elle ait une télé en haut aussi. Hein, Amélia ?

J’avais élevé la voix.

— Oui ?

Elle s’égosillait pour qu’on puisse l’entendre de la cuisine.

— Tu as toujours ce petit poste de télé, là-haut ?

— Oui, je l’ai fait relier au câble.

— C’était juste pour savoir.

J’ai souri à Cope pour lui faire comprendre que la balle était dans son camp. Il a passé en revue plusieurs choses qu’il voulait me demander. Il s’interrogeait sur la meilleure façon de s’y prendre avec moi pour me soutirer un maximum d’informations. Un nom a soudain émergé à la surface de ses pensées, et j’ai dû me tenir à quatre pour garder mon sourire poli.

— La précédente locataire d’Amélia, dans la maison de Chloe Street, était bien votre cousine, n’est-ce pas ? a-t-il lâché d’un ton tout ce qu’il y avait de policé.

— Hadley ? Oui, ai-je acquiescé avec un calme olympien. Vous l’avez connue ?

— Je connais son mari, m’a-t-il répondu avec un sourire des plus affables.

Pire que la mort
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